Actes punissables
L'internet n'est pas une zone de non-droit. Non seulement les adultes, mais aussi les enfants et les jeunes peuvent encourir une peine - volontairement ou involontairement. Les principales dispositions du droit fédéral en matière de protection des enfants et des jeunes face aux médias se trouvent aux art. 135 et 197 du code pénal (CP).
Le droit à l’image est protégé par l’ art. 28 du code civil (CC). Cet article, qui couvre de façon générale la protection de la personnalité, précise notamment : « Une atteinte [à la personnalité] est illicite, à moins qu’elle ne soit justifiée par le consentement de la victime, par un intérêt prépondérant privé ou public, ou par la loi ».
En principe, les personnes que l’on peut reconnaître sur une image (photo, vidéo, dessin, peinture) doivent donc donner leur accord avant publication. Faute de quoi, elles ont le droit d’intenter une action en justice contre la publication.
Une exception est prévue dans les cas suivants :
- Des photos et des vidéos réalisées dans l’espace public (par ex. sur les sites touristiques) ou lors d’événements publics (concerts, manifestations sportives, etc.) peuvent être publiées sans l’accord des personnes figurant sur les images, pour autant que ces dernières n’en constituent pas le sujet central.
- Lorsqu’une personne prend consciemment la pose, par exemple pour une photo de groupe, cela peut être interprété comme un consentement. La personne a néanmoins le droit de s’opposer à la publication après coup.
- L’aspect de l’intérêt public est particulièrement important dans le domaine des médias. En cas d’intérêt public prépondérant, par exemple pour la représentation de personnalités connues, les photos et vidéos peuvent être publiées.
- En vertu de la loi, l’obligation de consentement ne s’applique pas pour les photos d’avis de recherche ou en cas d’urgence.
Le droit à l’image s’applique également pour les enfants. C’est pourquoi les parents et les autres personnes de référence devraient toujours réfléchir à deux fois avant de publier des images. Il est possible d’en parler avec les grands enfants et les adolescents capables de discernement au sens de la loi (art. 16 CC), c’est-à-dire conscients de la portée de leurs actes et en mesure de faire valoir leurs droits fondamentaux (art. 19c CC). En ce qui concerne les enfants en bas âge, il faut se demander soi-même si l’on souhaite qu’une telle photo ou vidéo se retrouve sur Internet.
Selon son art. 1, la loi sur le droit d’auteur (LDA, RS 231.1) règle la protection des auteurs d’œuvres littéraires et artistiques, des artistes interprètes, des producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes ainsi que des organismes de diffusion.
La protection couvre :
- les œuvres littéraires : romans, études scientifiques, textes journalistiques, textes publicitaires, textes Internet, etc. ;
- les œuvres (audio-)visuelles : photographies et films ;
- les œuvres des beaux-arts : peintures, sculptures, œuvres graphiques, etc. ;
- les œuvres des arts appliqués : arts décoratifs ;
- les œuvres à contenu scientifique ou technique : plans, cartes, etc. ;
- les programmes informatiques.
Le droit d’auteur entre automatiquement en vigueur dès la création d’une œuvre. En principe, toute utilisation d’une œuvre au-delà de l’usage privé dans le cercle restreint de la famille et des amis est soumise au consentement de l’ayant droit, voire à une licence. En d’autres termes, il est illicite de copier ou télécharger des images, des vidéos, des textes, des morceaux de musique ou des films, ou d’en faire un usage quelconque. Il est autorisé de citer des passages d’œuvres publiées, à condition d’en indiquer les sources. En principe, l’utilisation de photographies de tiers nécessite l’autorisation du photographe.
Font exception à la règle les œuvres libres de droits (par ex. creative commons), mises à disposition par leurs auteurs. Dans ce cas, il suffit généralement de mentionner l’auteur. De plus, en contexte scolaire, il est permis d’utiliser des œuvres protégées, dans le strict respect des conditions d’utilisation.
Est entre autres punissable en vertu de l’art. 197, al. 1, CP, le fait d’offrir, de montrer, de rendre accessibles à une personne de moins de 16 ans ou de mettre à sa disposition des écrits, enregistrements sonores ou visuels, images ou autres objets pornographiques.
C’est la raison pour laquelle les responsables de sites web à contenu pornographique doivent impérativement intégrer des avertissements et des contrôles de l’âge (« adult checker »).
Est entre autres punissable en vertu de l’art. 197, al. 4 et 5, CP, le fait de consommer, fabriquer, importer, mettre en circulation, montrer, rendre accessible, obtenir ou posséder des objets ou des représentations pornographiques ayant comme contenu des actes d’ordre sexuel avec des mineurs, des animaux ou comprenant des actes de violence entre adultes.
Recruter un mineur (jusqu’à 18 ans) pour qu'il participe à une représentation pornographique ou favoriser sa participation à une telle représentation est également puni (art. 197, al. 3, CP).
En produisant et en diffusant des photos et des films intimes (sexting), les adolescents risquent de se rendre coupables de production et de diffusion de pédopornographie.
L’âge de la personne représentée joue ici un rôle prépondérant, mais aussi celui de la personne qui regarde l’image. Quiconque envoie ou montre à un jeune de moins de 16 ans des images ou des vidéos à caractère pornographique est punissable (art. 197, al. 1, CP). Cela vaut également pour les mineurs qui se photographient nus ou dans une position sexualisée, en train de se masturber ou d’avoir des rapports sexuels, ou qui regardent ou envoient de telles images. Sur le plan juridique, ces actes sont équivalents à la création, la diffusion et la consommation d’images pédopornographiques (art. 197, al. 4 et 5, CP). Si une personne est contrainte d’envoyer des images intimes d’elle-même, ou si elle est contrainte sous la menace de publier de telles images, la contrainte (art. 181 CP) et la menace (art. 180 CP) peuvent constituer des infractions à la loi.
L’art. 197, al. 8, CP fait exception : les jeunes âgés de 16 et 17 ans ne sont pas punissables s’ils produisent, possèdent ou consomment, avec le consentement d’un autre mineur du même âge, des représentations de sexting.
La sextortion, une forme de chantage exercée au moyen de matériel à caractère sexuel, ne fait pas l’objet d’une norme pénale spécifique en Suisse.
Les infractions commises dans ces cas sont en général :
- Extorsion ou chantage (art. 156 CP)
- Calomnie (art. 174)
- Violation du domaine secret ou du domaine privé au moyen d’un appareil de prise de vues (art. 179quater)
- Pornographie (art. 197)
Selon l'art. 146 CP, l'escroquerie est passible de sanctions pénales. L'escroquerie est constituée lorsque l'auteur du délit agit dans le dessein de se procurer un enrichissement illégitime, en induisant consciemment en erreur une personne par des affirmations fallacieuses, par la dissimulation de faits vrais ou en la confortant astucieusement dans son erreur, de sorte à l'amener à effectuer des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers.
En particulier sur Internet, il faut distinguer escroquerie et tromperie. La tromperie est certes injuste, mais elle ne constitue pas une infraction. Elle vise la plupart du temps à embrouiller les utilisateurs pour vendre des produits ou des prestations plus (trop) cher.
Le love scam, ou romance scam, est une forme d'escroquerie facilitée par Internet. Les escrocs profitent du fait que de nombreuses personnes recherchent en ligne un/e partenaire ou une relation affective. Ils prennent contact avec leurs victimes au moyen de faux profils sur les sites de rencontre et les réseaux sociaux, et feignent de croire au grand amour. Les deux personnes décident de se rencontrer, mais peu avant le rendez-vous, l'escroc prétend avoir eu un accident, être tombé malade ou avoir été agressé, et demande alors de l'argent à sa victime.
Cybermobbing
Le droit suisse ne contient pas de disposition pénale expresse concernant le cybermobbing. Néanmoins, les actes de harcèlement, de menace ou d’humiliation à la base du cybermobbing peuvent tomber sous le coup du droit pénal. Selon les circonstances, les éléments constitutifs de l’infraction sont les suivants :
- Accès indu à un système informatique (art. 143bis CP)
- Détérioration de données (art. 144bis)
- Extorsion ou chantage (art. 156)
- Délits contre l’honneur (art. 173 ss)
- Violation du domaine secret ou du domaine privé au moyen d’un appareil de prise de vues (art. 179quater)
- Soustraction de données personnelles (art. 179novies)
- Menace (art. 180)
- Contrainte (art. 181)
Le cybergrooming ne figure pas en tant que tel dans le CP. Toutefois, lorsqu’un adulte aborde un enfant sur Internet dans le but d’établir avec lui des contacts de nature sexuelle et qu’il prend des mesures concrètes pour le rencontrer, il est susceptible de commettre une tentative d’actes d’ordre sexuel avec des enfants (art. 22 et 187, ch. 1, al. 1, CP) ou de production de pédopornographie (art. 22 et 197, al. 4 et 5, CP).
L’auteur est toutefois déjà susceptible de commettre des actes punissables au moment du dialogue en ligne avec l’enfant :
- s’il le confronte à des textes ou à des images pornographiques (art. 197, al. 1, CP)
- s’il l’entraîne à commettre un acte d’ordre sexuel sur lui-même et y assiste – notamment par l’intermédiaire d’une webcam (art. 187, ch. 1, al. 2, CP)
- s’il le mêle à un acte sexuel, par exemple en commettant devant lui des actes sexuels ou en faisant en sorte qu’il les perçoive, sans qu’il n’y ait de contact physique entre l’auteur et la victime (art. 187, ch. 1, al. 3, CP).
Un « simple » tchat à contenu sexuel, lors duquel son auteur ne commet pas les actes évoqués, n’est en général pas punissable. Il peut toutefois constituer des paroles grossières, qui sont punissables sur plainte (art. 198 CP).
Le terme hate speech (discours de haine) recouvre toutes les formes d'expression haineuse à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes. En Suisse, il n'existe pas de définition juridique du discours de haine, mais ce dernier peut tomber sous le coup de toutes les dispositions qui s'appliquent en cas de discrimination. Les formes de discrimination sont les suivantes :
- le racisme ;
- l'islamophobie ;
- l'antisémitisme ;
- le racisme contre les personnes de couleur ;
- l'antitsiganisme ;
- le sexisme ;
- l'hostilité envers les LGBTQI ;
- la discrimination envers les personnes handicapées.
L'art. 8 de la Constitution affirme le droit à l'égalité pour toutes les personnes qui vivent en Suisse. En d'autres termes, nul ne doit subir de discrimination du fait de son origine, de sa race, de son sexe, de sa langue, de sa religion ou de son mode de vie. En 1994, le code pénal (CP) a été complété par l'introduction de la norme pénale contre le racisme (art. 261bis), qui rend punissables toute une série d'actions dirigées contre une ou plusieurs personnes, dont notamment l'incitation publique à la haine ou à la discrimination, les injures dégradantes ou la propagation d'idéologies diffamatoires. Alors que les infractions pénales étaient initialement fondées sur la race, l'origine, la religion ou la couleur de peau, le peuple suisse a décidé en 2020 d'étendre le champ d'application de la norme pénale à l'orientation sexuelle. Par contre, la protection des personnes intersexuées et transgenres n'y figure pas explicitement.
En cas de violence verbale envers d'autres groupes sociaux (personnes en situation de handicap, bénéficiaires de l'aide sociale, etc.), il faut se référer au code civil (protection de la personnalité ; art. 28 CC) ou à d'autres normes pénales, relatives à la diffamation (art. 173 CP), à la calomnie (art. 174 CP), à l'injure (art. 177 CP) et à la menace (art. 180 CP). Ces dernières dispositions peuvent d'ailleurs également être invoquées en cas de discours de haine racistes. Dans les cas extrêmes, un discours de haine peut aller jusqu'à l'incitation à la violence à l'encontre du groupe concerné (voir ci-après).
Vous trouverez d'autres informations sur ce thème à la rubrique → Discrimination & discours de haine.
La provocation publique au crime ou à la violence est interdite par l’art. 259 CP. L’art. 13e de la loi fédérale instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (LMSI) régit la saisie, le séquestre et la confiscation de matériel de propagande incitant, d’une manière concrète et sérieuse, à faire usage de la violence contre des personnes ou des objets.
Cette disposition se fonde sur l’idée que toutes les manifestations de la violence (par ex. motivées par des opinions extrémistes de droite ou de gauche) sont également condamnables et ne peuvent pas être justifiées dans un État démocratique. Cette norme rend possible la confiscation de matériel de propagande, sans jugement pénal. Internet facilite la diffusion rapide de matériel de ce type ; cette disposition permet donc de dénoncer le diffuseur et de bloquer les sites concernés.
L’art. 135 CP concerne les enregistrements sonores ou visuels, les images ou les représentations qui illustrent avec insistance des actes de cruauté envers des êtres humains ou des animaux portant gravement atteinte à la dignité humaine, sans présenter aucune valeur d’ordre culturel ou scientifique digne de protection. Quiconque, entre autres, fabrique, met en circulation, montre, acquiert, obtient par Internet ou possède de telles représentations encourt une sanction pénale. Il est prévu qu’à l’avenir, la simple consommation de telles représentations de la violence devienne également punissable.
Le « happy slapping » (ou vidéolynchage), qui consiste à filmer des actes de violence et à les diffuser sur internet pour s’amuser, peut être considéré comme un acte de cruauté au sens de l’art. 135 CP.
Jeux et films violents : des mesures s’imposent
Le code pénal n’interdit que les représentations les plus brutales de la violence (interdiction absolue, art. 135 CP), car il est difficile de définir sans ambiguïté dans la loi quels types de représentations de la violence sont inappropriés pour les mineurs. Il n’est donc pas possible d’assurer la protection des jeunes uniquement par le biais du droit pénal, qui doit être vu comme un instrument de dernier recours.
Les recommandations en matière de limites d’âge et des indications claires en cas de contenus violents sont par conséquent très utiles. Pour les jeux vidéo, vous pouvez vous référer au système PEGI (Pan European Game Information System), et pour les films, à l’Association suisse du vidéogramme et à la Commission nationale du film et de la protection des mineurs.
Des organisations issues de la branche des médias ont mis en place des mesures de contrôle et des sanctions pour punir les fournisseurs qui ne respectent pas les limites d’âge. Un projet de loi fédérale sur la protection des mineurs en matière de films et de jeux vidéo est en cours d’élaboration afin d’harmoniser l’application de ces mesures de contrôle dans tous les cantons.
Violence sur Internet : quand le droit atteint ses limites
Sur Internet, tout un chacun a accès à des contenus audiovisuels violents mis en ligne dans le monde entier. Cela rend difficile leur réglementation, tant au niveau national qu’international. Il est essentiel de développer la prévention et de favoriser le développement des compétences médiatiques des enfants et des jeunes. Par exemple, en tant que parent, on peut initier et entretenir un dialogue avec son enfant sur les contenus perturbants auxquels il a pu (ou pourrait) être confronté en naviguant sur Internet. Pour les enfants plus jeunes, l’installation d’un filtre parental ainsi que d’un logiciel permettant de bloquer la publicité et les fenêtres « pop-up » sur l’ordinateur familial est indispensable.